28.
Elle était dans son nid suspendu, un fruit de douleurs dans son enveloppe sombre, quand l’événement se produisit.
Elle s’était lentement étirée, une aile après l’autre, dans un craquement de tendons et de cartilages, puis elle avait tourné le cou du mieux qu’elle pouvait, avec l’impression que ses vertèbres étaient remplies de gravier, avant de replier une jambe puis l’autre, toujours accrochée à son perchoir.
Et c’est alors qu’il y avait eu une sorte de tremblement dans l’air, le souffle d’une immense explosion lointaine.
Le cocon se mit à osciller avant de s’arrêter brusquement, comme si le choc s’était soudain trouvé effacé de la réalité.
Elle sut immédiatement qu’il s’était passé quelque chose d’étrange et sans précédent, quelque chose qui devait indiquer un changement significatif dans son environnement, peut-être même dans l’Enfer lui-même. Elle repensa à l’anomalie de la barrière argentée, et à la façon dont le paysage avait été gommé, lissé.
Elle ne savait plus combien de milliers d’âmes elle avait libérées depuis qu’on l’avait ramenée ici. Elle avait eu l’intention de les compter, mais l’idée de faire une marque à l’intérieur de son nid à chaque mort lui avait paru trop insensible. Elle avait essayé de les compter dans sa tête, mais elle avait perdu le fil plusieurs fois. Finalement, elle s’était dit que ça n’avait pas d’importance. La dernière valeur dont elle se souvenait s’élevait à trois mille huit cent quatre-vingt-cinq âmes, mais ça remontait à très longtemps. Elle en avait probablement tué autant depuis.
Ses souffrances augmentaient chaque fois, après chaque mort, après chaque libération, chaque jour. Son existence se déroulait dans une sorte de brume permanente de membres douloureux, de peau hypersensible, de cartilages grinçants et d’organes torturés de crampes. Elle aurait aimé croire qu’elle pouvait l’ignorer, mais c’était impossible. La douleur était toujours présente, depuis son réveil jusqu’au moment où elle s’endormait en gémissant. Elle était aussi là pendant son sommeil. Elle rêvait que des parties de son corps se détachaient pour vivre une vie séparée, qu’elles s’arrachaient de son corps, qu’elles tombaient ou s’envolaient, laissant derrière elles une masse sanglante, hurlante et désespérée.
C’était chaque matin un nouveau combat pour lâcher son perchoir et quitter son nid afin de survoler ces terres noircies et pestilentielles, à la recherche d’une âme fraîche à libérer. Elle partait de plus en plus tard chaque jour.
Autrefois, elle avait volé rien que pour le plaisir, car même en Enfer, c’était une formidable sensation de liberté pour quelqu’un qui avait vécu solidement campé sur ses quatre pattes. À condition de surmonter sa terreur des hauteurs, bien sûr, ce qu’elle avait fini par faire après avoir vécu si longtemps dans un couvent perché au sommet d’un pic rocheux.
Autrefois, elle avait aussi aimé explorer, découvrir de nouvelles régions de l’Enfer. Elle était presque toujours horrifiée par ce qu’elle y trouvait, mais elle n’en était pas moins fascinée. La géographie, la logistique, ou encore l’inventivité sadique, tout cela suffisait à captiver un esprit curieux, et elle avait largement profité de sa capacité à voler au-dessus de territoires que les moins fortunés devaient parcourir en rampant, en boitant, en titubant et en combattant.
Tout cela était bien fini. Il était maintenant rare qu’elle s’éloigne beaucoup de son nid pour trouver quelqu’un à tuer et à dévorer. Elle attendait en général que sa faim soit telle qu’elle n’ait plus vraiment le choix. C’était un équilibre délicat et un choix de plus en plus difficile à mesure que la journée avançait, entre l’inconfort de son estomac gargouillant et la nuée de douleurs qui semblait circuler dans son corps telle une étrange colonie de parasites.
Elle sentait que son statut d’ange libérateur des âmes s’était dégradé. Les gens venaient encore de partout pour qu’elle les bénisse, mais ce n’était plus avec la même vénération. Elle n’apparaissait plus dans diverses régions de l’Enfer. Les damnés devaient maintenant pouvoir s’approcher de l’endroit où elle vivait, ce qui changeait les choses. Elle était devenue un service local…
Elle pensait que les démons avaient fini par prendre conscience de la situation, et qu’ils s’arrangeaient pour que certains individus lui soient présentés. Elle préférait ne pas imaginer les faveurs ou les récompenses perverses que les démons pouvaient exiger en échange. Et franchement, cela ne l’intéressait plus. Elle était heureuse de pouvoir continuer de libérer telle ou telle âme de ses souffrances, mais c’était devenu un acte machinal, pour lequel elle n’avait pas le choix.
La dernière chose intéressante avait été sa visite auprès du roi des démons. Elle était intriguée par l’anomalie qu’elle avait découverte, ce paysage de collines et de falaises qui avait disparu, et après des semaines de réflexion, elle avait fini par trouver la force de voler jusqu’au trône du démon colossal, pour lui demander ce qui s’était passé.
— Un accident, rugit-il tandis qu’elle voletait douloureusement devant lui en évitant de se mettre à portée de ses mains terrifiantes. Quelque chose s’est passé de travers, et toute cette zone a été effacée. Le paysage, les bâtiments, les démons, les damnés, tout a simplement cessé d’exister. En un clin d’œil, ça a libéré plus d’âmes que tout ce que tu as pu faire pour moi ! Ha ! Et maintenant, fous-moi le camp d’ici, et arrête de m’embêter avec des histoires sur lesquelles je n’ai aucun contrôle !
Et maintenant, ça…
Elle se sentait différente. Le cocon dans lequel elle était suspendue semblait différent, lui aussi, et c’était comme si toutes les douleurs qu’elle avait acquises commençaient à s’évaporer. Une sorte de vague de soulagement, de bien-être – presque sexuelle, proche de l’orgasme dans son intensité contrastée – la traversait, allant et venant dans son corps comme si c’était elle qui était creuse, et non le cocon où elle était nichée. La sensation s’atténua progressivement, et pour la première fois depuis si longtemps, elle se sentit bien, elle se sentit propre…
Elle se rendit compte que, bien qu’elle eût lâché son perchoir, elle restait suspendue normalement. Son corps semblait également différent : il n’était plus aussi grand, terrifiant et féroce. Elle n’était plus l’ange libérateur de l’Enfer. Elle essaya de s’examiner, mais elle ne pouvait pas vraiment distinguer ce qu’elle était devenue. Elle était comme formée de pixels, et son corps semblait contenir toutes les possibilités à la fois : mammifère quadrupède, mammifère bipède, oiseau, poisson, serpent… et tous les autres types de créatures, y compris celles dont elle ignorait le nom. Elle était devenue une nouvelle sorte d’embryon doté de cellules si peu nombreuses et au mécanisme de multiplication si simpliste qu’elles n’avaient pas encore décidé de ce qu’elles allaient devenir.
Elle flotta jusqu’à la limite du cocon. Tout semblait différent : plus paisible – parfaitement silencieux – et sans la puanteur qui avait été omniprésente dans ses narines depuis son retour en Enfer. L’air devait être maintenant complètement neutre, dépourvu d’odeurs, mais cette absence même était pour elle comme la plus fraîche des brises dans une prairie de montagne après tout ce qu’elle avait connu si longtemps.
Par contre, il n’y avait plus moyen de sortir du cocon. Le trou au fond avait disparu. Mais cela ne l’inquiétait pas particulièrement. Les parois n’étaient ni molles ni dures : elles étaient intouchables. Du bout de l’aile, elle sentit qu’il y avait une sorte de verre transparent qui l’en séparait. Elle ne pouvait même pas dire de quelle couleur elles étaient.
Quel soulagement de ne plus souffrir, quel soulagement…
Elle ferma les yeux et sentit les choses s’enrouler et se dérouler autour d’elle, en une sorte d’état statique, continu et contenu.
Il se passait quelque chose. Il s’était passé quelque chose. Elle n’allait même pas essayer de réfléchir à ce que cela pouvait être, ni à ce que cela pouvait signifier ou impliquer. L’espoir était un sentiment auquel il fallait résister à tout prix…
Un bourdonnement emplit son corps et sa tête. Derrière ses paupières déjà closes, elle se sentit partir à la dérive.
Si c’est ça la mort, eut-elle le temps de penser, une mort véritable, complète, dont on ne se réveille pas, alors ce n’est pas si terrible que ça.
Après tout ce que l’Enfer lui avait fait endurer, après tout ce dont elle avait été obligée d’être témoin et complice, elle allait peut-être enfin pouvoir mourir en paix.
Trop beau pour être vrai, songea-t-elle vaguement.
Elle y croirait quand… eh bien…
x VSG Prêt Pour Le Bal Costumé
o SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
Le RdN se fait peut-être une idée trop précise de la véritable mission de YN. Ou de ce qu’elle était. YN désactivée déjà de notre champ de vision, traces gommées, souvenirs effacés (détails du diaglyphe joints). Possibilité totale de nier, maintenant. Essaie de détourner le RdN de l’affaire du M,JC.
… Je veux dire en faisant usage de la raison, surtout pas de la force.
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x SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
o VSG Prêt Pour Le Bal Costumé
Et quel lien fascinant ça implique entre le RdN et les Bulbitiens ! Médusé !
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x VSG Prêt Pour Le Bal Costumé
o SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
Ça ne te regarde pas.
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x SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
o 8401.00 Limite Photique Partielle (Vaisseau RdN – présumé)
Salutations. Pas pu m’empêcher de remarquer que vous êtes combativement intéressé par une boulette de viande à bord de ce bon vieux Moi, Je Compte. Comme j’imagine que ce n’est pas le début de l’application de la phase finale du biodégoût du RdN, il doit y avoir une bonne raison. Ça vous dirait de la partager avec moi ? Bon, personnellement, je me fiche pas mal de ces horribles petites choses molles infestées de microbes et bourrées de merde, mais en général, je m’abstiens d’essayer de les incinérer. Le ratio efforts sur résultat est tout simplement effroyable.
Bisous.
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x 8401.00 Limite Photique Partielle (Vaisseau RdN de catégorie Bismuth)
o SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
Salutations réciproques. Je ne suis pas libre de discuter de questions opérationnelles.
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x SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
o 8401.00 Limite Photique Partielle
Écoutez, le seul non-avatar à bord de ce vieux sabot est un humain de genre neutre, même pas sous lacis neural, du nom de Yime Nsokyi, membre de la section Quietus de la Culture, qui se remet lentement après s’être fait à moitié écraser par un Bulbitien un peu dérangé. Qu’est-ce que vous pouvez bien avoir contre elle ?
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x 8401.00 Limite Photique Partielle (Vaisseau RdN de catégorie Bismuth)
o SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
Je demeure dans l’impossibilité de discuter de questions opérationnelles de cette nature.
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x SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
o 8401.00 Limite Photique Partielle
C’est cette fameuse fille de la Culture qui a refusé de rejoindre CS. C’est une certitude absolue qu’elle n’en fait pas partie. Je suis bien placé pour le savoir : j’en fais partie, moi, de ce putain de CS. Et j’ajouterai – peut-être convaincu par votre rafraîchissante franchise et votre prolixité infectieuse – que je suis à même, et désireux, de vous révéler qu’elle a été envoyée ici spécialement pour empêcher un certain électron libre potentiel d’interférer avec votre allié Joiler Veppers. Alors, dites-moi, pourquoi tout ce tintouin ?
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x 8401.00 Limite Photique Partielle
o SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
Bien que je demeure dans l’impossibilité de discuter de questions opérationnelles de cette nature, votre information sera à la fois prise en compte tactiquement et remontée hiérarchiquement.
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x SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
o 8401.00 Limite Photique Partielle
O.K. Cette petite conversation m’a fait un bien fou. Ça vous dirait de venir jouer avec moi ? M’aider à faire sauter un peu de parsemis ?
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x 8401.00 Limite Photique Partielle
o SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
Je suis malheureusement dans l’incapacité de me redisposer d’une manière aussi extemporisationnelle, surtout concernant des ouvertures faites par une entité non-RdN, mais je suis conscient de l’intention positive que je crois déceler derrière la susdite invitation.
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x SR En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles
o 8401.00 Limite Photique Partielle
C’est bon, on se calme.
— Alors, Bettlescroy, ça va mieux, maintenant ?
Sur l’écran de l’aérocar que Veppers avait loué, l’image était de meilleure qualité – quoique toujours manifestement soumise à un brouillage important – et le petit alien semblait aussi imperturbable que d’habitude.
— La première vague semble avoir accompli ce qu’on en attendait, concéda l’Amiral-Législateur. Le composant du vaisseau de ligne culturien qui l’avait prise en chasse a continué sa poursuite au-delà de Sichult. Aucun de ces vaisseaux ne reviendra. (Bettlescroy secoua la tête en souriant. L’image se déforma un instant pour tenter de s’adapter à un tel dynamisme.) Il va y avoir pas mal de débris dans le système de Quyn, Veppers. Beaucoup moins que dans celui de Tsung, bien sûr, mais c’est beaucoup plus embêtant ici, avec le trafic considérable autour de Sichult. (L’Amiral-Législateur consulta brièvement un autre écran.) Vous avez déjà perdu de nombreux éléments de votre soletta, quelques satellites importants – en fait, pratiquement tous vos satellites, les synchrones comme les unités proches, ont vu leur orbite perturbée au moins temporairement à cause de l’effet gravifique des vaisseaux –, et au moins deux petits véhicules spatiaux habités, dont un transportait une vingtaine d’étudiants, se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. J’espère que vous avez observé le ciel : le spectacle a dû être magnifique.
Veppers sourit.
— J’ai la chance de posséder la plupart des grandes sociétés chargées de nettoyer les débris spatiaux, de construire les satellites et les vaisseaux, et d’entretenir la soletta. Je m’attends à de nombreux contrats juteux avec le gouvernement.
— Je pense que je n’aurai aucun mal à contenir le chagrin que je pourrais éprouver pour vos pertes. Êtes-vous actuellement en route pour regagner votre résidence ? Les dernières estimations placent l’arrivée de la deuxième vague dans quarante à cinquante minutes.
— J’y suis presque. Je crois que nous avons vu les derniers missiles atterrir il y a quelques minutes.
Veppers jeta un coup d’œil à l’écran du côté de Jasken, où s’affichait le paysage sombre et à peine familier qui défilait de plus en plus lentement sous l’appareil. Deux rideaux de fumée gigantesques, de plusieurs kilomètres de haut, s’élevaient de part et d’autre et continuaient de monter dans le ciel. À leur pied, des lignes de cratères – dont certains brillaient encore – serpentaient au milieu d’arbres fracassés et noircis, de champs encore fumants, de bosquets, de bois et de forêts qui commençaient seulement à s’embraser, avec ici et là une ferme calcinée. À mesure qu’ils approchaient de la résidence, la fumée semblait les enserrer et s’élever encore plus haut. Ils avaient aperçu plusieurs voitures sur les routes du domaine, qui toutes avaient le bon sens de se diriger vers le périmètre. Veppers avait cru en reconnaître au moins une, une forme jaune élancée qui roulait rapidement sur la route d’accès principale.
— Putain, mais c’est ma Whiscord 36, l’édition limitée, avait-il marmonné en la voyant disparaître dans la fumée derrière eux. Même moi, je ne m’autorise pas à la conduire aussi vite. Salopard de voleur. Il aura de mes nouvelles.
Le réseau de coms était parfaitement silencieux. Après leur départ, Jasken avait tenté de contacter des occupants de la maison, mais sans succès. Partout ailleurs, c’était le chaos : un mélange de satellites perturbés, de décharges et de pulsions électromagnétiques associées aux armes énergétiques, de cinétiques déchirant l’atmosphère et de bombes nucléaires, avait laissé la zone entourant Espersium dans la confusion la plus totale, et le choc s’était propagé aux systèmes de coms de la planète entière.
— Ma foi, à votre place, je ne m’attarderais pas trop, dit Bettlescroy. Les vaisseaux qui restent de la seconde vague sont sévèrement harcelés par le composant culturien qui les pourchasse, et ils n’auront peut-être même pas le temps d’effectuer les attaques les plus précises. Vous feriez bien d’être à plusieurs dizaines de kilomètres d’ici quand ils arriveront, juste au cas où.
— C’est bien noté, dit Veppers alors qu’il commençait à distinguer la résidence au loin, entourée de murs de fumée. Je vais juste récupérer quelques objets précieux et dire aux employés encore présents qu’ils sont libres de s’en aller s’ils le désirent. Je n’en aurai pas pour plus d’une demi-heure. (Il coupa la connexion avec Bettlescroy et se tourna vers Jasken.) Ça nous laisse le temps, non ?
— Monsieur… fit Jasken.
Veppers regarda un instant son chef de la sécurité.
— Jasken, dit-il enfin, il faut que tu saches que c’est une des décisions les plus difficiles que j’aie jamais eu à prendre.
Il avait attendu le dernier moment pour lui révéler ce qui allait se passer. Il avait pensé que Jasken considérerait ça comme une procédure de sécurité normale, parfaitement standard, mais en y repensant maintenant, un ultraprofessionnel comme lui était peut-être un peu vexé d’avoir été tenu dans l’ignorance pendant si longtemps.
— Ce sont vos terres, monsieur, répondit Jasken. Votre maison. Vous pouvez en disposer à votre guise. (Il regarda brièvement Veppers.) Est-ce que les gens ont été prévenus ?
— Bien sûr que non. Ç’aurait été complètement idiot. De toute façon, qui se promène dans ces forêts ? Cela fait un siècle que je m’arrange pour que personne n’y aille. (Veppers sentit que Jasken se retenait de faire une remarque.) Je t’assure, je ne pouvais pas en faire plus.
— Non, monsieur, répondit Jasken sans le regarder.
Veppers voyait bien qu’il s’efforçait de ne pas manifester ses sentiments. Il poussa un soupir.
— Écoute, Jasken, j’ai eu de la chance de pouvoir refourguer son Enfer au RdN. C’est une des rares civilisations encore prêtes à assumer. Toutes les autres ont la pétoche. Aucune n’a voulu reprendre le sien. Elles étaient ravies et soulagées quand elles s’en sont débarrassées il y a quelques dizaines d’années. C’est pour ça que j’ai fait de si bonnes affaires… elles étaient désespérées. J’ai même cherché tout récemment à loger les Enfers ailleurs. La FCGF m’a mis en relation avec un machin, un Bulbousien ou je ne sais quoi, mais il a refusé. De toute façon, d’après la FCGF, il n’était pas assez fiable et je n’aurais jamais eu l’autorisation des propriétaires. Tu n’as pas idée à quel point je suis coincé dans cette affaire, Jasken. Je ne peux même pas arrêter simplement les substrats. Nos supérieurs galactiques ont cru bon d’établir des lois protégeant ceux qu’ils considèrent comme des êtres vivants, et tu me croiras si tu veux, mais il y a des gens qui se sont portés volontaires pour y aller, dans ces Enfers. Et tout ça sans parler des clauses de pénalité prévues dans les contrats que j’ai signés. Certaines sont exorbitantes, et même punitives. Et quand bien même je ne tiendrais pas compte de tout ça, je ne peux pas désactiver les substrats : ils ont été conçus pour résister pratiquement à tout. Même si on abattait tous les arbres, ils basculeraient sur la bioénergie stockée dans leur réseau de racines, de quoi tenir des dizaines d’années. Il faudrait les déterrer complètement, les réduire en miettes et les incinérer.
— Ou utiliser des bombes nucléaires, des armes énergétiques et des hypercinétiques, dit Jasken qui semblait très las.
— Exactement. Ce qui se passe en ce moment est un cas de force majeure, et ça nous dégage des obligations contractuelles. (Veppers posa une main sur l’épaule de Jasken.) J’ai longuement réfléchi à tout ça, crois-moi. C’est la seule solution.
Jusqu’ici, ils avaient réussi à éviter la plus grosse partie de la fumée, qui s’élevait droit dans les airs, à peine déplacée par une légère brise, même si les incendies qui commençaient à faire rage créaient leurs propres turbulences. Au-dessous d’eux, il faisait presque nuit noire au centre du faisceau de pistes boisées criblées de cratères encore en flammes.
Ils franchirent le cercle de liaisons satellitaires, là où les anciens dômes avaient laissé place aux matrices de coms reliant la résidence et tout ce qui l’entourait au reste de la planète, à l’Habilitement et à la Galaxie au-delà.
Veppers en serait bien resté là : il y avait déjà assez de dégâts comme ça, et les forêts ainsi que les substrats qu’elles cachaient étaient détruits ou en passe de l’être. Les coms n’avaient aucune importance, maintenant qu’il n’y avait plus rien à transmettre. Les Enfers étaient effacés, ou tellement réduits qu’ils ne méritaient même plus ce nom.
Mais il savait que ce qui venait de se passer ne suffirait pas. C’était une question de perception. Une fois la poussière retombée, au sens propre comme au sens figuré, il faudrait qu’il passe pour une victime, ce qui serait impossible si la maison était intacte et les dégâts limités aux terres environnantes. Un peu de remblayage et de décontamination suivis d’une abondante replantation d’arbres, qui allait le plaindre pour ça ?
Ils survolaient à présent les terrains de jeux, les pelouses et un coin du grand labyrinthe, dans une obscurité ponctuée de quelques braises apportées par le vent depuis les forêts dévastées.
— Pourtant, dit Jasken, ils s’attendaient peut-être à un peu mieux. Je veux parler des gens, monsieur. Vos gens. Ils ont donné…
— Oui, Jasken, mes gens, le coupa Veppers tandis que l’aérocar déployait son train d’atterrissage en descendant lentement vers le tore de la résidence au milieu des ténèbres et des flammes. Mes gens qui, comme toi, ont toujours été bien payés et bien traités, et qui savent parfaitement quel genre d’homme je suis.
— Oui, monsieur.
Ils étaient arrivés au-dessus des toits de la résidence. Le revêtement était jonché de petites branches enflammées, que des domestiques s’efforçaient d’éteindre. Plutôt inutile, songea Veppers. Le toit est ignifugé. Mais bon, les gens ont toujours besoin de s’occuper.
L’aérocar passa en sustentation et se prépara à descendre dans la cour centrale de la maison.
— Dis-moi, Jasken, y aurait-il ici quelqu’un de spécial à tes yeux, et dont j’ignorerais l’existence ? Parce que si c’est le cas, tu l’as drôlement bien caché.
— Non, monsieur, répondit Jasken tandis que l’appareil descendait au centre désert du tore. Personne de spécial.
— Ma foi, c’est aussi bien comme ça.
Les patins touchèrent les pavés de la cour et l’aérocar s’immobilisa. Veppers jeta un coup d’œil à sa montre de gousset.
— Nous devons repartir dans vingt-cinq minutes, dit-il en détachant sa ceinture et en se levant. Allons-y.
— Je peux rester avec vous, si vous voulez, dit Demeisen.
— Non, je ne veux pas, répondit Lededje. Allez-vous-en, c’est tout.
— D’accord. Je ferais peut-être mieux d’y aller, j’ai encore pas mal de boulot.
L’ambassadrice Huen leva la main.
— Attendez. Vous ne pensez pas que nous aurons besoin d’une protection renforcée, quand cette seconde vague va arriver ?
— Je… enfin, un autre de mes composants pourrait bien les éliminer tous avant qu’ils ne parviennent jusqu’ici. J’ai de fortes chances d’en dégommer moi-même quelques-uns en retournant au cœur de la bataille autour de Tsung. En plus, ces braves garçons des défenses planétaires seront mieux préparés, et auront plus de temps cette fois-ci. Ce deuxième lot se prépare certainement à un arrêt en catastrophe, ce qui implique une plus grande précision dans leurs frappes. Vous devriez être en sécurité.
Il jeta un coup d’œil par la fenêtre. Il flottait encore un peu de fumée au sommet de quelques tours et gratte-ciel.
— En dernier ressort, c’est à ça que servent vos illuminations, ajouta-t-il. Et maintenant, madame, dit-il en s’inclinant, si vous me permettez… ?
Huen hocha la tête.
— Merci, dit-elle.
— Un plaisir pour moi. (Et se tournant vers Lededje, Demeisen lui fit un clin d’œil.) Allez, vous vous en remettrez vite.
Il se transforma aussitôt en ovoïde argenté et disparut dans un léger bruit de bouchon.
Lededje avait du mal à respirer.
Huen regarda un instant le drone Olfes-Hresh, puis elle ferma les yeux. Elle semblait fatiguée.
— Ah, fit-elle, nous avons enfin la version officielle. (Elle se tourna vers Lededje.) On m’informe que vous êtes effectivement Mlle Y’breq. Dans ce cas, je suis heureuse de vous revoir, Lededje, bien que, étant donné les circonstances de votre mort…
— De mon assassinat, dit Lededje.
Tournant le dos à l’ambassadrice et au drone qui flottait à hauteur de son épaule, elle s’approcha de la fenêtre qui donnait sur le grand parc. Au-delà de la ville, dans la nuit qui tombait, d’autres éclairs illuminaient de lointains nuages sombres qui venaient de se former.
— Très bien, disons l’assassinat. Et pour ce qui est des autres affirmations de Demeisen… ?
— Tout est vrai.
Huen resta un moment silencieuse.
— Alors, dit-elle enfin, je suis désolée. Profondément désolée, Lededje. J’espère que vous comprenez que nous n’avions guère le choix. Je veux dire, en laissant partir Veppers, et en acceptant de négocier avec lui…
Les yeux pleins de larmes, Lededje contemplait les bâtiments au loin, d’où s’échappaient encore quelques minces volutes de fumée. Elle haussa les épaules et fit un geste qui se voulait désinvolte. Elle ne se sentait pas la force de parler.
Dans la vitre, elle vit le reflet de Huen qui tournait légèrement la tête vers le drone.
— Olfes-Hresh me dit que vous êtes en possession de fonds considérables, contrôlés par une carte qui se trouve dans votre poche. J’allais vous demander ce que vous comptiez faire maintenant, mais…
Un autre ovoïde argenté apparut à la place exacte de celui qui avait emporté Demeisen. Le temps que Lededje se retourne, l’ovoïde avait disparu et l’avatar était de retour. Lededje retint un cri de surprise.
— J’ai remarqué une agitation soudaine par ici, dit Demeisen en s’adressant à l’ambassadrice après avoir brièvement salué Lededje. Vous avez de nouveaux visiteurs. Je ferais mieux de rester encore un instant, histoire de dire bonjour.
Huen interrogea le drone du regard.
— L’ex-UOL Moi, Je Compte, de l’Ultérieur, annonça Olfes-Hresh. Il vient juste d’arriver.
Deux autres ellipsoïdes argentés apparurent brièvement, révélant deux grands panhumains qui n’étaient manifestement pas des Sichultiens : un homme et une créature androgyne qui semblait pencher légèrement du côté féminin. L’homme était chauve et portait des vêtements noirs très stricts. Lededje le reconnut, malgré son aspect encore plus aliène qu’autrefois. L’autre personne portait une sorte de costume encore plus sobre, dans des tons gris.
— Prebeign-Frultesa Yime Leutze Nsokyi dam Volsh, annonça le drone, et Av Himerance, de l’ex-UOL Moi, Je Compte.
— Mlle Y’breq, dit Himerance d’une voix douce en s’inclinant devant elle. C’est un plaisir de vous revoir. Vous souvenez-vous de moi ?
Lededje aurait bien aimé avoir séché ses larmes. Elle fit de son mieux pour sourire.
— Je me souviens. Je suis heureuse de vous revoir, moi aussi.
Les deux avatars échangèrent un regard, puis un petit salut.
Demeisen entreprit alors d’examiner Yime Nsokyi de pied en cap.
— Vous savez, dit-il enfin, je jurerais avoir vu quelqu’un de Quietus qui portait exactement les mêmes vêtements que vous.
— Ça s’appelle un uniforme, Av Demeisen, répondit patiemment Yime. C’est ce qu’on porte à Quietus.
— Non, c’est pas vrai !
— Nous considérons que c’est un signe de respect envers ceux pour qui nous travaillons.
— Vraiment ? (Demeisen avait l’air sidéré.) Ah, putain, je ne savais pas que les morts pouvaient être aussi exigeants.
Yime Nsokyi sourit, le sourire tolérant des gens habitués à de telles remarques. Elle se tourna vers Lededje pour la saluer.
— Mlle Y’breq, j’ai fait un long chemin pour pouvoir vous rencontrer. Comment vous portez-vous ?
Lededje secoua la tête.
— Pas terrible.
Demeisen tapa dans ses mains.
— Bon, ça n’est pas que je m’ennuie, mais il faut vraiment que j’y aille, que je mette quelques héliopauses entre ici et moi. Salut, tout le monde. Madame l’ambassadrice…
Huen leva la main pour retenir un instant Demeisen, qui sembla contrarié.
— Pensez-vous que Veppers a dit la vérité tout à l’heure, quand il a laissé entendre qu’il n’avait pas encore indiqué les objectifs pour la seconde vague d’attaque ?
— Bien sûr que non. Je peux partir, maintenant ? De toute façon, je vais m’en aller, mais est-ce que je peux le faire avec votre permission, vu qu’on a l’air de respecter le protocole dans ses moindres détails ?
Huen acquiesça en souriant.
L’ellipsoïde argenté se forma aussitôt et disparut un peu plus bruyamment que la fois précédente. Huen remarqua que Lededje semblait plus détendue.
La jeune femme marmonna : « Excusez-moi » avant de retourner contempler le paysage par la fenêtre.
— Il est parti pour de bon, cette fois ? demanda Huen au drone.
— Oui, madame.
— Mlle Nsokyi, Av Himerance, reprit l’ambassadrice, qu’est-ce qui nous vaut l’honneur de votre visite ?
— Quietus m’a demandé de m’assurer de la bonne santé de Mlle Y’breq, étant donné qu’elle a été récemment reventée, répondit Yime.
— Et j’ai promis à Mlle Nsokyi de la transporter ici, ajouta Himerance. Cela étant, j’ai aussi pensé qu’il serait agréable de présenter mes respects à Mlle Y’breq.
Il y eut un petit gémissement du côté de la fenêtre, où Lededje contemplait son reflet, le nez presque collé contre la vitre, tout en tapotant nerveusement l’intérieur de son poignet gauche.
Elle se retourna brusquement vers le groupe.
— Et voilà maintenant que mon foutu tatouage ne marche plus ! s’exclama-t-elle.
Huen poussa un soupir.
— Olfes, si vous voulez bien ?
— Je l’appelle.
Une image de Demeisen apparut au-dessus du parquet ciré, juste assez brillante pour s’y refléter.
— Qu’est-ce qu’il y a, encore ? dit l’avatar en agitant les bras et en regardant Lededje. Je croyais que vous aviez hâte d’être débarrassée de moi ?
— Qu’est-ce qui est arrivé à mon tatouage ? demanda-t-elle.
— De quoi parlez-vous ?
— Il ne marche plus !
L’image plissa les yeux un instant.
— Hmm, fit l’avatar. Je vois ce que vous voulez dire. On dirait qu’il est figé. Bon, ce sont des choses qui arrivent. C’est sans doute quand j’ai été obligé de vous paralyser un peu, pour vous empêcher d’égorger Veppers. Un dommage collatéral. Navré. Toutes mes excuses.
— Qu’est-ce que vous attendez pour le réparer ?
— Je ne peux pas. Je suis en train de foncer vers Tsung. Il faudrait que je vous Déplace avec le tatouage, mais je suis déjà trop loin pour ça, et de plus en plus à chaque seconde qui passe. Demandez au drone.
— Ça dépasse mon domaine de compétences, dit Olfes-Hresh. J’ai jeté un rapide coup d’œil, et je ne sais même pas comment ça marche.
— Revenez ! gémit Lededje. Réparez-le ! Il est bloqué comme il était tout à l’heure !
L’image hocha la tête.
— D’accord, je vais m’en occuper. Mais pas maintenant. Plus tard. Dans un jour ou deux.
L’image avait déjà disparu quand le mot « deux » parvint aux oreilles de Lededje. Elle se plongea le visage dans les mains en poussant un grand cri.
Huen se tourna vers le drone qui fit un signe de dénégation.
— Il ne répond pas.
— Y aurait-il quelque chose que je puisse… que nous puissions faire ? demanda Yime.
Lededje s’assit par terre.
Huen la regarda un instant avant de se tourner vers l’agent de Quietus.
— Oui, peut-être, dit-elle. Laissez-moi d’abord vous expliquer la situation.
— Avant ça, fit la voix de Demeisen sortant d’un tiroir du bureau de Huen, puis-je ajouter quelque chose ?
— Ah, putain… gémit Lededje en se laissant tomber sur le dos. On ne sera donc jamais débarrassés de cette foutue machine ?
— Je croyais qu’il était parti pour de bon ? demanda Huen au drone en fronçant les sourcils.
L’aura d’Olfes-Hresh vira au gris-violet de l’embarras.
— Moi aussi, répondit-il.
— Je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre, fit la voix de Demeisen.
— Menteur… murmura Huen.
— Et j’ai pensé que ce truc vous intéresserait. Je viens juste de le recevoir dans ma boîte aux lettres, pour ainsi dire. En principe anonyme, mais ça vient manifestement de mon nouveau copain, le joyeux vaisseau RdN de catégorie Bismuth, le 8401.00 Limite Photique Partielle. La qualité est un peu médiocre, à cause d’un tas de décryptages et de bidouillages, mais je pense que vous ne lui en voudrez pas. Ça remonte à trois heures, et ça se passe entre Mr V. et l’Amiral-Législateur Bettlescroy-Bisspe-Blispin III, le gars en charge des forces FCGFiennes actuellement dans l’Habilitement. Allez, c’est parti.
« Mais peu importe, fit la voix de Veppers qui provenait de l’équipement de coms caché dans le tiroir de Huen. Je répète : chaque piste boisée repose sur ce que, de prime abord, on pourrait prendre pour une sorte de gigantesque structure de mousse végétale. Il n’en est rien. C’est du substrat. Un substrat biologique à bas niveau d’énergie, pas hyper-rapide mais très efficace et très robuste. La couche varie entre dix et trente mètres d’épaisseur sous les racines et autour, ce qui représente globalement cinq cents millions de mètres cubes de capacité de calcul répartie à travers le domaine. Le flot d’informations qui y circule est canalisé par la batterie de liaisons satellitaires réparties autour de la résidence. Celles dont tout le monde croit encore qu’elles servent simplement à contrôler les Virtualités et les jeux.
« Voilà votre objectif, Bettlescroy. Les substrats sous les forêts contiennent plus de soixante-dix pour cent des Enfers de la Galaxie. Enfin, de ceux que nous connaissons, en tout cas. Il y en avait un peu plus, mais j’ai récemment sous-traité l’Enfer du RdN, juste par précaution. Cela fait plus d’un siècle que j’achète des Enfers, Amiral-Législateur, et j’ai passé le plus clair de ma vie professionnelle à en gérer tous les aspects informatiques et légaux pour le compte de tiers. La majorité des Enfers se trouve ici, dans ce système, sur cette planète. Voilà pourquoi la question du détail des cibles ne m’a jamais posé de problème. Alors, pensez-vous disposer de suffisamment de vaisseaux pour détruire mon domaine ? »
« Vous parlez sérieusement ? fit une autre voix. Les cibles sont sur votre propre domaine ? Pourquoi avez-vous fait une chose pareille ? »
« Pour pouvoir tout nier facilement, Bettlescroy. Vous allez devoir raser les forêts, dévaster les terres, faire sauter les liaisons satellites et endommager la résidence elle-même, peut-être même la détruire elle aussi. Cela fait des siècles que cette maison appartient à ma famille. Elle est infiniment précieuse à mes yeux, comme le domaine qui l’entoure. Ou c’est du moins ce que tout le monde pense. Qui pourrait croire que j’ai attiré toute cette destruction sur moi-même ? »
— Et ainsi de suite, fit la voix de Demeisen. Et là, il y a cette partie vraiment juteuse :
« Et les gens ? »
« Quels gens ? »
« Les gens qui se trouvent sur le domaine, quand il va être dévasté. »
« Ah, oui. Eh bien, j’imagine que je dispose de quelques heures avant le début des attaques ? »
— Là, il y a un peu de blabla de notre ami Bettlescroy, fit la voix de Demeisen, et alors :
« Donc, en résumé, je vais avoir le temps de faire évacuer quelques personnes, fit la voix de Veppers. Pas trop quand même, bien sûr, pour que ça reste crédible. Mais voyez-vous, Bettlescroy, les gens, je peux toujours en embaucher d’autres. Il n’y a jamais de pénurie de ce côté-là, jamais. »
— … Fascinant, non ? reprit la voix de Demeisen. Surtout cette histoire de refiler le parc d’attractions funestes du RdN à quelqu’un d’autre avant que les Enfers partent tous en fumée. Je vous parie qu’il s’est cru très malin, et que ça lui éviterait d’avoir le RdN sur le dos. Aussi malin que la FCGF quand elle a fauché les technologies de coms du RdN, sans jamais se douter qu’elles pouvaient recéler des accès secrets permettant au RdN de les intercepter sans problème. Vous ne trouvez pas que c’est à mourir de rire quand les gens se croient très malins ? Moi, si. Heureusement que certains d’entre nous le sont vraiment, parce que sinon, on serait dans la merde. Eh bien, ma tâche ici est terminée. Enfin, presque. Il me reste encore du parsemis à écrabouiller. Au plaisir, tout le monde !
Il y eut un profond silence dans la pièce pendant un moment.
Le drone Olfes-Hresh se secoua.
— Eh bien, dit-il à Huen, je crois qu’il est parti pour de bon. D’un autre côté, c’est ce que j’ai cru aussi la dernière fois…
Lededje, toujours allongée par terre, secoua la tête en soupirant.
— Manifestement, dit Huen en se tournant vers Yime et Himerance, il y a des choses ici que nous ne devrions pas faire, ou dans lesquelles nous ne devrions pas nous impliquer, que ce soit pour des raisons morales ou à cause des regrettables exigences de la realpolitik. (Elle s’interrompit un instant.) Cela étant dit…